CORTÁZAR EN UN CORTO : AGUSTINA TOIA PRÉSENTE MANDALA, ADAPTATION DE RAYUELA

 

 

Scène du film

Scène du film “Mandala”.

 

 

Pétillante apatride, brillante et intrépide, Agustina Toia allie plaisir et sourire pour une entrevista dynamique, mardi 17 mai à l’Alliance Française de Rosario. Elle est venue y présenter son court-métrage Mandala, adapté de Rayuela, bombe littéraire de Julio Cortazar aux 73 chapitres.

Les photos de Pablo de Gorostiza qui composaient l’exposition « Paris Intemporel », inaugurée elle aussi ce mardi, s’emplissent de vie et de mouvement aussitôt que débute Mandala. Le film met en scène un mélange complexe et multiculturel autour de l’immigration à Paris. Loin des visions globales et des clichés de mouvements de foule, Mandala reflète d’un point de vue personnel et intériorisé l’intégration, déclinée sous quatre nationalités, au sein de l’immensité urbaine qu’Aznavour nommait à bien juste titre : « ce tout Paris qui nous fait si peur ».

« La contradiction est omniprésente à Paris. » Agustina a vécu à Rosario, à Buenos Aires, à Rome, à Londres, à Bonn. Mais Paris reste à ses yeux « la ciudad más hermosa del mundo », même après avoir foulé tant de pavés et de carrés d’herbe, effleuré tant de murs et goûté à tant de saveurs. Paris est la ville rêvée des artistes. Il y a tout à Paris. Et pourtant, Paris est pleine de problèmes. Obtenir un titre de séjour à la mairie est un calvaire, louer une chambre est hors de prix. « Paris est gratuite », fait-elle dire ironiquement à ses personnages, parce que oui, c’est vrai ; Paris a l’air gratuite, Paris a l’air hors de tout. Quand enfin on y arrive (dans son cas, après un an à Rome et la lecture de Rayuela qui lui a donné envie d’en savoir plus), tout semble accessible. Et puis bien vite, on se rend compte que non.

 

Scène du film

Scène du film “Mandala”.

Alors, on répète, face à un mur, dans l’urgence de l’angoisse, « ¿Qué se busca ? ¿Qué se busca ? ¿Qué se busca ? ». On commence par tenter de fuir les Latinos, pour parler Français, puis on finit un jour ou l’autre aux buttes Chaumont pour partager un asado ou un maté, et le sentiment de nostalgie qui va avec. Et puis si on est Agustina Toia, on se promène aussi. Beaucoup. En fait, oncherche, frénétique, on effectue une « búsqueda completa » pour savoir quel café, quelle rue, quel pont a fait l’oeuvre de Rayuela. Et c’est à travers cette quête que la jeune réalisatrice, déjà bien lancée dans le monde du théâtre, a pénétré et approfondi, avec passion, le monde de Paris – et celui du cinéma. En mettant de l’Amérique Latine dans Paris, du Paris dans l’Amérique Latine, de la littérature dans le cinéma, Agustina Toia a également voulu mettre du cinéma dans le cinéma. « Tu vois, dans Rayuela, on a deux côtés. El lado de acá, avec les textes de Julio Cortazar, et De otros lados, avec de vieilles phrases d’autres auteurs. » Les deux divisent le livre. Agustina a donc repris les phrases d’écrivains du XVe – qui ne risquaient pas de lui demander des droits d’auteur. La tâche la plus intéressante pour le public fut alors, au-delà de la poésie des répliques que la cinéaste invente elle-même, celle de transposer en images les phrases de Julio. C’est ainsi qu’on se retrouve à admirer des fourmis sur un calendrier, ou à s’amouracher de deux mouches sur un plan de métro parisien. Et que notre coeur se serre devant une porte, symbole omniprésent dans le récit. « La porte, c’est la séparation entre este lado et otros lados, c’est l’océan entre l’Argentine et la France ». Et puis le prix d’une porte à changer à Paris, c’était un détail qu’on ne pouvait pas laisser de côté.

Et puis il y a les phrases en Italien d’Elena d’Angelo, qui écrit des poésies. Sans oublier que dans Rayuela, les personnages citent des morceaux d’oeuvres et que, par voie de conséquence, dans Mandala, les personnages citent des morceaux de Rayuela. Bref. Agustina insère, habile, sensible, sincère, du récit dans l’image, de l’image dans le récit, du roman dans le cinéma et, du cinéma dans le cinéma et, bien sûr, de la vie dans le cinéma et du cinéma dans la vie. Et quand on lui demande comment elle imagine la situation inverse, elle répond que « pour moi, l’intégration d’un Parisien en Argentine doit être plus facile. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Quand on vient d’Europe, ça doit faire un choc, d’arriver dans toute cette agitation… Mais ça reste plus facile. » Pourquoi ? Parce que Paris est cosmopolitaine, et confie à ses habitants les clés d’une future (ré)adaptation. Et quant aux Parisiens, Agustina les a beaucoup appréciés, a gardé beaucoup d’amis et de contacts dans le monde du cinéma. Bien sûr, ils sont différents des Argentins, moins démonstratifs, moins tactiles ; mais c’est la forme dont ils aident et dont ils accueillent qui change, pas le fond.

Affiche du film

Affiche du film “Mandala.”

 

« ¿Qué son las patrias ? » Oui, Agustina se sent un peu apatride, mais cette déconnexion perpétuelle, loin de la déranger, témoigne même d’une certaine forme de volonté. Dans tous les cas, le voyage comporte une incontestable notion d’intemporalité, et il devient alors normal, voire incontournable, de citer les minuscules villages argentins par ses personnages en plein Paris. Ce Paris qui a influencé son côté artistique, son art, son cinéma. Qui a entendu les échos des conversations en quatre langues tout au long du film, témoins de la compréhension qui dépasse les barrières natales. Ce Paris qui s’est inscrit dans la notion de cercle qui, comme le serpent qu’elle évoque dans Mandala, représente le chemin, la vie. Après avoir sillonné l’Europe, l’artiste est de retour au pays du Che, et si la réintégration n’a pas été très rapide, elle s’accompagne de projets cinématographiques solides. Un nouveau voyage n’est pas encore au programme ; beaucoup de travail l’attend et si le thème de son premier long-métrage reste encore un grand secret, on peut combler son impatience en allant l’applaudir au théâtre Espacio Bravo, pour sa pièce La caída del tirano.

 

Par Claire Griois.